Froid dans le dos
Dans le Libé du jour, cet entrefilet, probablement passé inaperçu : Aux États-Unis, un homme a été viré pour avoir fumé… chez lui. Le fumeur concerné attaque son entreprise pour violation de la vie privée.
De prime abord, certains, suivez mon regard, vont penser que j’enfourche encore le cheval de bataille du pauvre fumeur brimé. Mais pour une fois, ce n’est pas là que le bât me blesse. (Quoique le gus ait toute ma sympathie, croyez m’en)
Au delà de l’incident isolé (ou pas), je trouve inqualifiables plusieurs choses dans cette affaire.
D’une part, que l’entreprise ait eu vent du fait que son employé fumait chez lui. De quelle manière ? Au moyen de caméras espions ? Par la délation d’un de ses collègues ? C’est déjà en soi une intrusion dans la sphère privée qui n’a pas lieu d’être. (Passons sur les test anti-drogue, anti-alcool couramment pratiqués par des entreprises américaines, qui pourraient, eux, éventuellement se justifier dans le cas d’un employé tenant un poste à risque, mais dont l’extension à l’ensemble du personnel d’une boite ne se justifie pas : vireriez vous votre concierge parce qu’il a pris une cuite le week-end dernier ?)
L’autre chose qui me gêne aux entournures dans cette histoire est de façon plus générale la tendance qu’ont les corporations américaines à imposer leurs diktats sur ce qui est socialement acceptable de la part de leurs employés, en dehors de la sphère du travail.
Naguère, c’était (et c’est encore pour une grande part) l’état, une émanation du consensus populaire donc, du moins dans ce qui se veut une démocratie, qui dictait les grandes lignes de ce qu’il était « convenable » ou non de faire en société. L’ivresse publique, se promener tout nu au milieu de la ville à 4 heures de l’après-midi sont ainsi des exemples de comportements devant lesquels la majeure partie des citoyens froncent les sourcils, et qui sont plus ou moins sévèrement réprimés par un corpus législatif clairement défini.
Outre ce corpus, le contrevenant se verra le plus souvent mis au ban de ses pairs, en réprimande de son attitude inconvenante. Une attitude de rejet sociale assez courante.
Mais il semble que désormais nous devions faire face à une troisième forme de punition, celle de l’entreprise qui, alors même que peut-être aucun tabou social n’existe, aucune loi ne soit violée, décrète à part elle que telle ou telle forme de comportement n’est pas conforme à la politique qu’elle entend poursuivre quant au recrutement et à la conservation de ses employés.
Et insidieusement, depuis plusieurs années aux Etats-Unis, mais l’Europe ne saurait tarder à suivre ce déplorable exemple, quand ce n’est pas déjà fait ici et là, ces règles parallèles en viennent à régir l’existence de millions de personnes hantées par le spectre du chômage, mort sociale définitive et bien plus douloureuse que de se voir infliger une amende de quelques dizaines d’euros, ou refuser une invitation à dîner, pour des « fautes » que la plupart d’entre nous considéreraient comme vénielles quand elles ne sont pas purement et simplement imaginaires.
Petit à petit, les corporations en viennent donc à étendre sur la population qu’elles emploient une dictature de fait, en dehors de tout contrôle étatique, et qui commence à déborder de manière injustifiable sur le temps que l’individu ne passe pas au service de l’entreprise qui l’emploie.
Je ne sais pas à vous, mais à moi, ça me fait froid dans le dos.